ANTOUN ABDO, La conversion des Émirs à l'Église Maronite pendant le XVIIIe siècle

 

Antoun Abdo, dell'Ordine Maronita Mariamita,
     La conversion des Émirs à l'Église Maronite pendant le XVIIIe siècle
                        (Basée sur des documents inédits)
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Direttore: P. Vincenzo Poggi sj

        Le XVIIIe siècle fut marquée par la conversion a l'Église Maronite des émirs musulmans qui gouvernaient alors le Mont Liban. Cet événement historique nous amène a nous poser une question de fond: pourquoi cette famille princière qui jouissait d'un immense prestige et occupait la position la plus élevée parmi les habitants du Mont Liban décida-t-elle de renoncer a sa foi musulmane pour embrasser la religion chrétienne? Qu'avait donc d'essentiel le Christianisme pour attirer des gens persuadés par ailleurs de la supériorité de leur religion et dont le statut civil les plaçait bien au-dessus des dhimmis? Ces questions nous conduisent donc tout naturellement a faire une comparaison entre l'Islam, le Druzisme et le Christianisme, ces trois religions qui composent la société libanaise. Il était nécessaire d'identifier précisément les émirs devenus chrétiens, car ce sujet était jusque dans les années cinquante du siècle dernier matière à de sérieux débats parmi les grands historiens de l'université américaine de Beyrouth. Il fallait mettre fin une fois pour toutes a ces discussions autour de l'appartenance religieuse des émirs Chihab. Malgré la perte des registres de baptême datant du XVIIIe siècle, on a réussi à trouver dans les différentes archives des documents inédits qui démontrent clairement leur appartenance au Christianisme.

            La conversion de ces grands dignitaires nous conduit ainsi à mettre en relief le rôle essentiel de l'Église Maronite dans la société de l'époque et sa mission parmi les peuples non chrétiens. Le Liban a effectivement connu au XVIIIe siècle un développement spirituel exceptionnel qui se traduisit notamment par la fondation des plusieurs ordres religieux et de confréries laïques dont l'influence fut prépondérante dans la conversion des émirs. On a choisi de parler particulièrement de la communauté du Sacré-cœur fondée a Bkerké par la religieuse Hindiyyeh en 1750. Cette confraternité devint rapidement un centre de prières important et un haut lieu de pèlerinage pour l'ensemble des habitants du Liban, laïcs et incroyants compris. Parmi les visiteurs et les visiteuses du couvent de Bkerké, on compte un certain nombre d'émirs et leurs femmes. Il semble que les princesses, pour avoir observé de près les différence; entre leur religion et celle des Chrétiens, aient voulu se convertir et cherché à convaincre leurs époux d'adopter la Foi chrétienne. Or la confraternité de Hindiyeh était à cette époque un haut lieu d'approfondissement spirituel pour les Chrétiens et de conversion pour les incroyants. Le Patriarche maronite, Yousef Istéfan (1766-1793), permit aux nouveaux convertis de ne pas manifester publiquement leur nouvelle foi. Ce genre de comportement explique probablement que malgré toutes les persécution; qu'elle a subies au cours des siècles, l'Église Maronite a réussi à se maintenir tout en poursuivant son oeuvre d'évangélisation. Par ailleurs, le contexte multiconfessionnel du Liban et la situation politique de l'époque exigeaient des prélats maronites de faire preuve de charisme et d'adopter un comportement adéquat pour résoudre les problème; les plus divers auxquels ils étaient confrontés. Par conséquent, si le Patriarche prit pareille initiative, c'est par soucis des fidèles dont il avait la charge. Proclamer publiquement la conversion de hauts dignitaires musulmans au Christianisme aurait constitué une menace certaine contre les chrétiens, car l'Islam punit de mort l'apostasie et m tolère pas qu'un chrétien ait le moindre pouvoir sur les musulmans. Le Patriarche cherchait en priorité à faire régner la tranquillité au Liban et à y défendre la liberté de culte tout en oeuvrant avec diplomatie à la création d'un pays indépendant qui assurerait l'égalité de tous les habitants. Dans ce contexte politique, les conseillers des émirs, qui étaient maronites, sont parvenus à convaincre leurs seigneurs d'embrasser la religion chrétienne et de choisir des chrétiens comme soutiens et confidents de prédilection. Inspiré par une sagesse qui est le fruit d'une longue expérience dans ce domaine, le Saint-Siège réagit contre la suggestion du Patriarche. Par prudence la Curie ne pouvait autoriser les nouveaux convertis à nier leur appartenance au Christ en pratiquant la dissimulation, ou Taqiyya, comme le font les adeptes d'autres religions. Cette affaire des émirs convertis, en les opposant, créa de vives tensions entre le Saint-siège et le Patriarche et ébranla sérieusement l'autorité de ce dernier vis-a-vis de ses évêques et des émissaires apostoliques. Devenus chrétiens, les émirs eux-mêmes se mirent à s'immiscer dans les affaires ecclésiastiques et se mêlèrent des conflits entre clercs, au grand dam du Patriarche.